Les propriétés impériales s'étendaient sur la totalité de l'empire et comprenaient résidences, terres cultivées, pâturages, bois, mines, carrières, objets de luxe et esclaves. Cette immense richesse était un élément clé pour le maintien de la position de pouvoir suprême, puisque l'empereur pouvait l'utiliser pour effectuer une grande variété de dépenses publiques ou pour conférer des bénéfices à des individus ou aux communautés. En outre, les grandes possessions impériales (vastes domaines fonciers, carrières) généraient des retombées économiques locales importantes. Comme leur propriétaire était à la fois le chef de l'empire et un acteur économique global, on peut remarquer une tendance à l'uniformisation transrégionale des modes d'exploitation et un effet positif sur l'intégration économique et, d'une certaine manière, culturelle des zones périphériques.

Aucune étude systématique de la totalité de la documentation disponible n'a été réalisée depuis le début du 20e siècle et de nombreuses questions concernant l'acquisition et l'utilisation des biens restent sans réponse. L'étude des économies antiques s'est épanouie au cours des vingt dernières années, offrant de nouveaux cadres théoriques pour interpréter le monde romain. Le projet PATRIMONIVM participera à ce renouveau, en apportant de nouveaux instruments et questions à la discussion. Cependant, nous privilégierons une approche plus empirique qui part du recueil systématique des documents et de leur interprétation philologique et historique avant d’en tirer des conclusions plus générales et théoriques.

Objectifs principaux

Le programme de recherche vise à fournir aux historiens de meilleurs outils pour étudier ce sujet majeur et pourtant relativement négligé de l'histoire impériale romaine et à explorer de nouvelles façons d'aborder le rôle économique, politique et social du patrimonium Caesaris. Cela se traduit par la fixation de trois objectifs principaux :

  • Rassembler dans une seule base de données en ligne toute la documentation pertinente pour l'ensemble du monde romain ; cela inclut les attestations liées non seulement aux villas, aux domaines fonciers, aux mines, aux carrières, mais aussi aux esclaves impériaux et aux affranchis.
  • Renouveler notre approche de certains documents ou groupes de documents clés grâce l’organisation d’une série d'ateliers dédiés.
  • Réaliser la première histoire des propriétés impériales dans le monde romain depuis le début du 20e siècle.

Axes de recherche

La documentation recueillie dans l'Atlas patrimonii Caesaris est le point de départ de notre analyse, qui s'articule autour de cinq axes principaux :

La distribution géographique des propriétés. Les différences dans la repartition des documents concernant le patrimonium Caesaris doivent d'abord être évaluées dans une enquête région par région, afin de placer les données dans leur contexte local et d'éviter les généralisations dangereuses. Ce travail permet d'obtenir une vue d'ensemble détaillée capable de rendre compte des différences entre les diverses régions et des raisons qui les sous-tendent (différence dans la quantité et la qualité de la documentation, différence dans la politique impériale d'acquisition entre les régions, etc.).

La détermination des modèles de croissance des propriétés. Les empereurs romains pouvaient accroître leur patrimoine de nombreuses façons, mais principalement de manière passive, c'est-à-dire par des décisions volontaires de tiers (héritages, donations) ou par des aliénations forcées en vertu de la loi (confiscations). De manière assez surprenante, l'achat direct de propriétés foncières n'est pas attesté ni envisagé par les textes juridiques romains. L'empereur pouvait choisir, parmi les biens qu'il recevait, ceux qu'il garderait et ceux qu'il vendrait, mais il ne pouvait ou ne voulait apparemment pas acheter des propriétés foncières à des personnes privées ou à des communautés. Cela signifie que la compréhension des configurations locales de la propriété privée est cruciale pour déterminer les modèles de croissance du patrimonium Caesaris afin de mettre en avant ou d’écarter, pour chaque contexte, certains facteurs d'acquisition (de sénateurs condamnés, d’affranchis, d'anciens souverains, de testaments invalides du nombre croissant de citoyens romains…)

La valeur économique des propriétés. Les domaines nouvellement confisqués ou hérités étaient souvent immédiatement vendus aux enchères, mais ils pouvaient être conservés s'ils pouvaient rapporter des bénéfices au trésor impérial (le fiscus). Les raisons de conserver un domaine pouvaient donc être économiques, mais aussi politiques ou simplement personnelles. Seule une analyse contextualisée région par région permettra de comprendre la motivation la plus probable. Puisque très peu de registres fonciers ont été conservés pour l'Antiquité, une évaluation de la valeur économique du patrimonium dans une certaine région sera tentée en mettant nos preuves en relation avec d'autres facteurs, comme la taille des centres de consommation de ressources disponibles à proximité (villes, camps légionnaires, districts miniers et de carrières), l'accessibilité de ces marchés par des routes et/ou des rivières, l'occurrence d'indicateurs traditionnels de relations commerciales, comme la présence d'amphores de transport et leur forme. Nous obtiendrons ainsi une vue d'ensemble du rôle de l'empereur en tant qu'acteur économique au niveau micro-régional (régions individuelles) et macro-régional (provinces individuelles, groupes de provinces ou empire entier), ce qui nous aidera à déterminer dans quelle mesure les empereurs romains ont fait un usage conscient de leurs richesses et ont investi dans des régions qu'ils considéraient comme économiquement stratégiques.

L'administration du patrimonium Caesaris. Ce sujet a pendant longtemps attiré l’attention des chercheurs. Néanmoins, grâce aux résultats des autres axes de recherche, il sera possible d’aborder la question de manière renouvelée, en comprenant les subdivisions régionales et sous-régionales en fonction non seulement de la taille des propriétés, mais aussi de leur pertinence pour les marchés locaux les plus importants. Une meilleure compréhension des différents contextes pratiques de l'administration nous permettra de voir dans quelle mesure les conséquences du double rôle de l'empereur, acteur économique et souverain, ont pu être perceptibles.

Les propriétés comme moyen d'interaction entre le centre et la périphérie. Celui d’intégration est un concept à multiples facettes : sociale, économique, politique et culturelle. La présence d’une importante concentration de domaines impériaux dans une certaine région produisait une interaction plus fréquente avec l'administration et le droit romains et une exposition plus intense à la terminologie latine. L'intégration pouvait être favorisée par les fréquentes transactions économiques qui avaient lieu dans et autour des grands districts productifs impériaux, comme les zones minières et les carrières. La présence d’intérêts patrimoniaux dans tout l'empire favorisait non seulement la rotation des administrateurs, mais aussi la mobilité des travailleurs qualifiés et des entrepreneurs faisant affaire avec le patrimonium.

Hypothèses de travail

À travers les cinq axes de recherche, PATRIMONIVM entend travailler sur des questions spécifiques qui, jusqu'à présent, ne suscitaient pas d'attention particulière.

Le patrimonium Caesaris et le crédit. Une partie des biens de tout sénateur était utilisée pour des activités de prêt d'argent et l'empereur suivait également cette pratique. Cela a dû être le cas pour Octave/Auguste, mais probablement aussi pour Tibère et de nombreux autres souverains. Suite aux remarques de W. Harris sur la place limitée accordée au crédit et aux transactions sur papier dans les études modernes sur la monnaie romaine, PATRIMOMIVM testera l'hypothèse selon laquelle une partie du patrimoine impérial était constituée de crédit et était en fait gérée par les procurateurs dans tout l'empire.

Le patrimonium et les pratiques romaines de transfert d'argent à distance. Le projet abordera également le problème du transfert à distance des ressources patrimoniales (non en nature). L'hypothèse de la création d'un réseau d'intermédiaires financiers sera testée avec une considération particulière pour le Principat augustéen, lorsque les propriétés impériales n'avaient pas une grande extension et donc le transfert d'argent vers des provinces avec peu ou pas de présence patrimoniale impériale ne pouvait pas se faire par des canaux internes.

Règles non écrites. La destination publique du patrimonium était une coutume établie par Auguste. Une autre pourrait être le fait qu'apparemment l'empereur ne pouvait ou ne voulait pas acheter de propriétés foncières sur le marché libre. Ce comportement, dont les motivations n'ont pas été abordées jusqu'à présent, pourrait avoir été déterminé par des conventions sociales ou par l'exemple d'Auguste lui-même. PATRIMONIVM tentera de reconstituer toutes les conventions sociales et politiques auxquelles était soumise la propriété impériale concernant son utilisation et essaiera de déterminer comment et quand ces règles non écrites sont apparues. De cette manière, nous pourrons mieux discerner comment des règles sociales et politiques distinguaient le patrimonium impérial des autres propriétés privées.

Un rôle beaucoup plus important pour les affranchis impériaux. Les affranchis restent difficiles à appréhender en tant que catégorie sociale pour nos vues modernes. Après que Maiuro ait démontré le rôle du patrimoine des affranchis pour l'extension de la propriété impériale, il faut aborder plus directement la question de leurs activités économiques à côté et en dehors du service officiel de l'empereur et surtout la question de la participation du patrimonium à leurs activités.

Le « district industriel » comme approche interprétative comparative. Les grandes mines/carrières ou les concentrations de propriétés foncières avaient un impact économique et social important sur leurs régions, comme le font les districts industriels modernes. Avec les différences qui s'imposent, le modèle du "district industriel" peut être une approche interprétative utile pour mettre en évidence les tendances constantes et les différences dans l'impact des grands sites productifs appartenant à l'Empire, avec des effets conséquents sur l'intégration de la région environnante dans le contexte économique plus large de l'Empire.